Généralement, la clause « destination » d’un bail commercial limite le nombre d’activités que le preneur peut exercer dans les locaux loués.
L’idéal pour le commerçant semble être d’avoir un bail « tous commerces », c’est-à-dire une clause « destination » extrêmement libérale qui permet au preneur d’exploiter le commerce de son choix, et mieux encore, de changer d’activité en cours de bail, sans avoir la moindre autorisation à demander au bailleur.
Disons le tout de suite : à Paris, je n’ai pas vu une telle clause depuis plusieurs dizaines d’années.
Et c’est également le cas dans les trois ou quatre plus grandes villes françaises.
Cela étant, le bail « tous commerces » existe bien quand même, et plus qu’on ne le croit.
Dans les villages, ou dans les centres villes qui se dépeuplent (à cause d’internet évidemment !) par exemple.
Cependant, il faut se méfier.
Sous couvert d’avantages exceptionnels pour le preneur, ce type de bail recèle certains dangers pour le commerçant, ou pour le chef d’entreprise non averti.
Idem pour le bailleur.
Avantages du bail « tous commerces » pour le preneur
L’avantage essentiel, et il est de taille, est celui de pouvoir, un jour, vendre des chaussures, un autre jour exploiter une boulangerie, et, si le voisinage n’est pas suffisamment amateur de pains au chocolat, se transformer en vendeur de voitures, et tout cela sans que le bailleur n’ait son mot à dire.
La liberté totale, en quelque sorte.
Mais, cette liberté est, en réalité….. « surveillée ».
Inconvénients du bail « tous commerces » pour le preneur
Transformer son commerce de vente de vêtements en vente de chaussures ne pose généralement pas de problème particulier.
Mais, transformer son commerce de vente de vêtements en poissonnerie, ou en restaurant, ne sera pas simple.
En effet, outre la nécessité d’aménagements techniques des locaux, et de l’obtention de certaines autorisations administratives, il faudra, préalablement à toutes modifications, éplucher le règlement de copropriété de l’immeuble afin de déterminer si l’activité projetée n’y est pas interdite.
Or c’est le plus souvent le cas pour celles qui génèrent des nuisances, olfactives comme une poissonnerie, un restaurant, ou sonores, comme un bar, un garage etc …..
Sans compter les baux « tous commerces », mais dont la clause y afférente est stipulée « tous commerces, sauf nuisances ».
Le deuxième inconvénient du bail « tous commerces » pour le preneur est, celui-ci, totalement méconnu.
En effet, la quasi-totalité des baux commerciaux stipule que le preneur ne pourra céder son droit au bail qu’avec son fonds de commerce.
En d’autres termes, pour transmettre son bail, il faudra procéder à une cession du fonds de commerce, laquelle cession de fonds de commerce comprendra la cession du bail.
Cependant, l’article L145 – 8 du Code de commerce dispose :
« Le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans le lieux. »
Et ce fonds « …..doit, sauf motifs légitimes, avoir fait l’objet d’une exploitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d’expiration du bail ou de sa prolongation ….. ».
En d’autres termes, lorsque le preneur cède son fonds de commerce, et que la durée de son bail expire bientôt, l’acquéreur du fonds de commerce devra demander le renouvellement du bail à son échéance.
Mais, si le bail expire le 31 décembre 2021, par exemple, et que l’activité n’est exploitée dans les lieux que depuis janvier 2020, soit depuis moins de trois années, l’acquéreur du fonds de commerce se verra refuser le renouvellement du bail.
Il devra donc restituer les locaux, et aura de ce fait perdu la totalité de son investissement.
Il en est de même, évidemment, s’il acquiert le fonds de commerce le 1erjanvier 2021, que le bail se termine, par exemple, le 31 décembre 2022, et que l’acquéreur décide que les locaux lui conviennent mais qu’il y installe une activité différente de celle de son prédécesseur.
Lorsqu’il demandera le renouvellement du bail, celui-ci lui sera refusé.
Et il aura tout perdu.
Nous ne saurions trop le répéter : il importe de se faire conseiller par un avocat commerce avant de signer un bail commercial…..
Avantages du bail « tous commerces » pour le bailleur
C’est rarement de gaité de cœur que le bailleur fait stipuler à la clause « destination » la mention « tous commerces ».
En effet, limiter le nombre d’activités qui peuvent être exercées par le preneur, confère au bailleur le droit d’avoir son mot à dire pour toute modification souhaitée par son locataire.
Modification que, dans la plupart des cas, il monnaiera ……
Mais, le bailleur n’est pas toujours en position de force.
Certains emplacements ne sont pas très attrayants, leur commercialité est moyenne, voire médiocre.
Les candidats à la reprise des locaux ne sont donc pas légion.
Chacun l’aura compris, lorsque la situation du local ne constitue pas un « emplacement n°1 », ou « emplacement n°2 », on peut user de la clause « tous commerces » afin d’attirer les entreprises ; lesquelles seront d’autant plus tentées qu’elles savent qu’en cas d’échec d’une activité, elles pourront tenter librement leur chance dans un autre domaine.
On comprend ainsi mieux pourquoi on trouvera plus de baux « tous commerces » dans un village (pensez à l’épicerie-bar-tabac-marchand-de-journaux-dépôt-de-pain-bureau-de-poste) qu’avenue des Champs Élysées à Paris…..
Inconvénients du bail « tous commerces » pour le bailleur
Le premier risque pour le bailleur est que le commerçant exerce une activité qui soit interdite par le règlement de copropriété.
Dans ce cas, la copropriété attaquera en justice le locataire, mais également son bailleur.
Et cela donne des procédures compliquées, et préjudiciables, car on fera le reproche au bailleur de n’avoir pas maitrisé son locataire.
Le deuxième inconvénient, et il est de taille, se révèle lorsque le preneur exerce une activité qui nécessite certains aménagements techniques, ou doit répondre à certaines normes de sécurité.
Pour exemples, un restaurant doit avoir un conduit d’évacuation suffisamment haut pour qu’il n’incommode pas le voisinage ; un atelier de réparation de voitures doit être insonorisé ; une discothèque doit en outre avoir une sortie de secours de grande dimension etc…..
Toutes ces activités nécessitent donc des agencements et des matériels coûteux.
Or, l’article 1719 du Code civil dispose que le bailleur est tenu de délivrer à son locataire un local conforme à la destination stipulée au bail, et doit donc assumer de ses deniers les travaux de mise en conformité de son local.
Et la clause, que l’on voit souvent, selon laquelle le preneur ne réclamera rien, et accepte les « lieux dans l’état où ils se trouvent…… » ne sera d’aucune utilité, et ne déchargera en rien le bailleur de son obligation de délivrance.
Car, il faudrait pour cela une clause qui détaille précisément la totalité des travaux que le preneur accepte de financer.
Et gare à ne rien oublier, et à ne pas se tromper sur les termes techniques……
A défaut, le bailleur devra financer l’intégralité des travaux !
Chacun aura vite vu le problème avec le bail « tous commerces ».
Lorsqu’on donne à bail un local à un marchand de chaussures, il n’est pas difficile de l’agencer et de le mettre aux normes.
Mais, lorsque le marchand de chaussures transforme son local en garage, comme c’est théoriquement son droit dans ce type de bail, et ce sans qu’il n’ait la moindre autorisation à demander au bailleur, ce dernier se retrouve dans une position très difficile.
Mon conseil : lorsqu’on est propriétaire d’un local commercial, il faut écarter la mention « tous commerces » dans la clause « destination ».
Si l’emplacement est très moyen, voire médiocre, il vaut mieux prévoir une dizaine d’activités autorisées, en s’assurant préalablement que les locaux s’y prêtent, et qu’à défaut, chacune de ces activités ne nécessite pas d’aménagements coûteux.
Maître Gérard DOUKHAN, avocat spécialiste en droit commercial à Paris, avec mention spécifique « ventes de fonds de commerce », rédacteur expérimenté de baux commerciaux et d’actes de ventes, vous conseille, vous assiste, et plaide au mieux de vos intérêts.
01 42 65 50 64
Article mis en ligne en janvier 2020.
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