Lorsqu’arrive l’âge du départ en retraite, le commerçant a hâte de parvenir à la cession de son fonds de commerce. Cela n’est pas toujours aisé, car le commerce en question peut être quelque peu vieillissant, pas au goût du jour, et l’activité peut ne pas vraiment être orientée vers l’avenir.
Or, comme chacun sait, usuellement, on ne peut céder son fonds de commerce qu’à un successeur qui exercera la même activité, à savoir l’une de celles permises par le bail, ou plusieurs de celles-ci.
Le futur retraité peut donc se considérer comme sérieusement pénalisé s’il doit patienter des années avant de trouver le repreneur adéquat, sans compter qu’il aura peut-être dû, à cette fin, réduire sensiblement son prix de vente. Fort heureusement, le législateur a créé des règles spéciales visant à faciliter le départ en retraite des commerçants. Celles-ci sont inscrites dans l’article L 145-51 du Code de commerce.
I- LE DISPOSITIF FACILITANT LE DÉPART EN RETRAITE DU COMMERÇANT
Le titulaire d’un bail commercial qui a fait valoir ses droits à la retraite, ou qui a été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité, peut être autorisé à céder son bail, ou plus souvent son fonds de commerce, à un repreneur qui n’exercera pas la même activité que lui, ni l’une de celles stipulées audit bail.
Cette pratique est communément appelée cession-déspécialisation.
Il importe de préciser, d’autre part, que le commerçant ayant organisé son départ en retraite peut également, au titre de l’article L 145-4 du Code de commerce (alinéas 3 et 4), cesser purement et simplement son activité, résilier le bail commercial à tout moment, donc sans qu’il soit nécessaire d’attendre son terme, ni même l’échéance d’une période triennale.
Cette faculté bénéficie également au commerçant qui a obtenu une pension d’invalidité.
II- LES CONDITIONS DE LA CESSION-DÉSPÉCIALISATION LORS DU DÉPART EN RETRAITE
Tout d’abord, les dispositions de l’article L 145-51 du Code de commerce ne peuvent s’appliquer qu’aux personnes suivantes :
- le commerçant personne physique, ou entreprise individuelle,
- le dirigeant associé unique d’une EURL (SARL unipersonnelle),
- le gérant majoritaire (au moins 50,01 % du capital), depuis au moins deux ans, d’une SARL lorsque cette dernière est titulaire du bail.
En conséquence, sont exclus de ces dispositions favorables, les dirigeants de société anonyme (S.A), de société anonyme simplifiée (S.A.S), et de société anonyme simplifiée unipersonnelle (S.A.S.U) ; ces deux dernières structures étant très en vogue actuellement……
Au cas où le commerçant répond à ces critères, la cession de son bail peut alors avoir lieu à tout moment au cours de celui-ci ; il n’est donc pas nécessaire d’attendre l’échéance d’une période triennale.
D’autre part, la jurisprudence s’est montrée plutôt favorable au locataire puisqu’elle a décidé que ce droit à la cession-déspécialisation puisse être mis en œuvre par le locataire en situation de cumul emploi-retraite. De même, dans l’hypothèse où ce sont les deux époux qui sont cotitulaires du bail, le fait que seul l’un des deux fasse valoir ses droits à la retraite permet néanmoins de mettre en œuvre le dispositif susdit.
III- LA PROCÉDURE A SUIVRE
1°- POUR LE LOCATAIRE
Après s’être assuré que l’éventuel droit de préemption de la commune ne sera pas exercé, le locataire ayant fait valoir ses droits à la retraite doit signifier au bailleur et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce , par acte d’huissier de justice, ou plutôt de commissaire de justice (leur nouvelle appellation), son intention de céder le bail, en précisant les nouvelles activités envisagées.
A cet égard, il faudra cependant être certain que ces dernières ne soient pas manifestement incompatibles avec la destination, les caractères, et la situation de l’immeuble. En d’autres termes, il sera difficile de céder un magasin de chaussures à l’exploitant d’une boîte de nuit…..
L’acte d’huissier devra également préciser le prix de cession envisagé.
Cela étant, cet acte n’a aucune obligation de spécifier l’identité du candidat acquéreur. Cette formalité ayant été accomplie, le locataire devra continuer à exploiter le fonds jusqu’à la cession effective du bail. Ainsi, jusqu’à la réponse du bailleur, et pendant un délai maximum de deux mois commençant à courir après la signification de l’acte d’huissier, il devra continuer à respecter toutes les obligations stipulées au bail.
Et ne pas procéder à sa radiation du registre du commerce avant signature effective de l’acte de vente.
2°- POUR LE BAILLEUR
A la réception de l’acte d’huissier, le bailleur a le choix entre trois options.
Il peut exercer son droit de préemption.
Pendant le délai des deux mois qui suivent la signification de l’acte d’huissier, le bailleur a une priorité de rachat du droit au bail.
Mais, ce rachat doit être exercé dans les mêmes conditions que celles convenues entre son locataire et le candidat acquéreur, notamment en ce qui concerne le prix de vente, et les modalités de paiement de celui-ci, le plus souvent comptant à la signature.
Il fait opposition.
Lorsque le bailleur considère que les nouvelles activités demandées sont incompatibles avec le statut de l’immeuble, il a le droit de refuser la cession projetée en invoquant un motif grave et légitime.
Dans ce cas, la procédure à suivre peut être lourde pour le bailleur, puisque l’exercice de son droit d’opposition doit se manifester par la saisine du Tribunal Judiciaire dans le délai de deux mois qui suivent de l’acte d’huissier. Et c’est le Tribunal qui décidera si les motifs de rejet invoqués par le bailleur sont légitimes ou pas.
S’il considère ces motifs comme légitimes, le locataire devra trouver un autre repreneur, ou en tout cas un repreneur qui projette d’exercer une activité plus conforme à la destination de l’immeuble.
Si le Tribunal rejette l’opposition du bailleur, le jugement peut constituer en lui-même une déspécialisation totale ou partielle, et ainsi valoir avenant au bail. Il va de soi, par ailleurs, que le bailleur qui aurait fait opposition pour des motifs fallacieux peut également être condamné à des dommage-intérêts et au paiement des frais de procédure.
Le bailleur accepte la cession projetée ou ne répond pas à l’acte d’huissier.
Dans l’un et l’autre cas, la cession projetée peut être réalisée, et les nouvelles activités notifiées seront ipso facto validées.
IV- LES CONSÉQUENCES DE LA CESSION-DÉSPÉCIALISATION SUR LE LOYER
Cette cession-déspécialisation n’est pas neutre au regard du loyer. Il est admis, depuis un certain temps déjà, qu’à l’échéance du bail, lorsque celui-ci devra être renouvelé, le bailleur puisse invoquer le changement d’activité pour solliciter un déplafonnement du loyer.
Donc, en principe, une augmentation de celui-ci, souvent importante, afin que son montant se retrouve conforme à la véritable valeur locative. En principe seulement, car le déplafonnement peut également entraîner une baisse du loyer si la valeur locative réelle est inférieure à celui actuellement pratiqué.
Ce qui n’est pas si rare que cela dans la pratique en 2023……
Maître Gérard DOUKHAN, Avocat spécialiste en droit commercial à Paris, avec mention spécifique « ventes de fonds de commerce », praticien des baux commerciaux depuis plus de trente ans, vous reçoit personnellement pour vous conseiller et assurer le succès de vos procès dans les meilleures conditions.
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Article mis en ligne en septembre 2023.
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