Un fonds de commerce doit prendre sa place dans une copropriété, mais seulement sa place, pas plus. L’Avocat spécialiste en droit commercial traite de nombreux litiges impliquant un commerçant, la copropriété, et, inévitablement, son bailleur.
Clientèle, odeurs, déchets, bruits… les troubles relatifs à la présence d’un ou de plusieurs locaux commerciaux peuvent se révéler extrêmement préjudiciables au sein d’une copropriété et nuire à la relation tripartite évoquée ci-dessus. On pense évidemment aux bars, restaurants, souvent bruyants, et / ou odorants, comme les poissonneries, les garages etc……
Juridiquement, ces troubles vont être qualifiés d’ « anormaux » lorsqu’ils excédent les limites de ce qui peut être supportable. Mais la difficulté réside dans la signification de cette terminologie.
Qu’est-ce qui est supportable et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
En cas d’absence de « modus vivendi » entre l’exploitant et le résident, les juges vont donc devoir trancher les litiges.
I°- LA NOTION DE TROUBLES : LES NUISANCES RELATIVES AUX LOCAUX COMMERCIAUX EN COPROPRIÉTÉ
Il est de droit que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Mais quels sont ces troubles évoqués ?
Concrètement, ceux-ci sont caractérisés par les nuisances sonores, les nuisances olfactives ou encore visuelles.
1°- LES NUISANCES SONORES CONSTITUTIVES D’UN TROUBLE ANORMAL
Certains bruits, excédant un certain seuil, se calculant en décibels, peuvent être constitutifs d’un trouble anormal de voisinage. Les bars, restaurants et discothèques sont les principaux établissements visés par les procès. L’exemple de la discothèque n’a pas besoin d’être développé. En ce qui concerne les bars et les restaurants, la nuisance sonore peut provenir de l’intérieur de l’établissement, et plus encore souvent aujourd’hui, de l’extérieur, en raison notamment de l’habitude qu’ont prise les jeunes de boire et fumer en nombre sur le trottoir, jusque tard dans la nuit.
La jurisprudence à ce sujet est plutôt sévère : ainsi, les juges de la Cour de cassation ont, par exemple, jugé qu’une discothèque causait des nuisances sonores malgré les dispositifs mis en place par celle-ci pour limiter le volume sonore. (Cour de cassation, 3e chambre civile, 15 septembre 2009 (n°08-12.958)).
2°- LES NUISANCES OLFACTIVES CONSTITUTIVES D’UN TROUBLE ANORMAL
Les nuisances olfactives émanent généralement de restaurants, de garages, de poissonneries, de fromageries, d’usines etc….. Cela peut correspondre à de la fumée émanant des cuisines, ou d’odeurs de nourriture. Et la bonne volonté du commerçant ne suffit pas toujours à l’exonérer de toute responsabilité. Ainsi, une société exploitant un restaurant-sandwicherie n’avait pas pu disposer d’un système d’extraction conforme, en raison de l’absence d’approbation de la résolution y afférente par l’assemblée générale des copropriétaires.
La Cour d’Appel de Paris a jugé que la fumée et les odeurs de cuisine constituaient bel et bien des nuisances olfactives, « très importantes, car incommodantes, perceptibles du rez-de-chaussée jusqu’au 5e étage de l’immeuble, du matin au soir, et ce de façon répétée pendant plusieurs années ». (Cour d’appel de Paris, Pôle 4, chambre 2, 15 décembre 2021, RG n° 17/07804).
A noter d’autre part que, les nuisances olfactives peuvent être une cause de prohibition des restaurants dans une copropriété, quand bien même l’activité de restauration ne serait pas exclue par le règlement de copropriété, (3ème Ch. civ, 13 novembre 2013 – Affaire n° 12 – 26.121). Idem et un peu plus compliqué : dans certains baux commerciaux la rubrique « destination » comporte la mention « tous commerces, sauf nuisances ». Ce qui a donné lieu à de nombreux débats judiciaires, mais, finalement, on ne peut que conseiller à nos amis restaurateurs ou poissonnières de surtout ne pas signer un tel bail.
3°- LES NUISANCES VISUELLES CONSTITUTIVES D’UN TROUBLE ANORMAL
Luminosité excessive, désagréments visuels, construction d’un mur entraînant une perte d’ensoleillement, enseignes lumineuses envahissantes etc……. sont susceptibles de causer des troubles pour les voisins. Certains copropriétaires pensent pouvoir intenter une action en justice.
Mais les juges ne se laissent pas convaincre facilement ; ils ont conscience qu’une entreprise doit vivre. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’une pharmacie du centre-ville, dont la fameuse croix verte lumineuse rayonnait puissamment , ouverte du matin jusqu’à 20 heures 30, ne produisait pas une nuisance anormale pour le voisinage.
En revanche, concernant l’enseigne d’un commerce d’ameublement, un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1976 a constaté «l’importance et le sérieux des désagréments résultant de la pénétration dans une pièce d’habitation d’une vive lumière, de couleur, émise par l’enseigne allumée le soir jusqu’à 21 heures, ainsi que le jour par temps sombre».
A propos d’enseigne, il est intéressant de savoir qu’un bailleur ne peut pas interdire à son locataire d’apposer son enseigne en façade de l’immeuble où s’exerce son activité commerciale.
En effet, selon la Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 20 septembre 2011, cela reviendrait à un manquement de l’obligation de délivrance qui incombe au bailleur car «l’enseigne qui est un signe par lequel le commerçant informe la clientèle de sa présence à l’emplacement des locaux loués dans lesquels il exerce son activité, indispensable à l’individualisation de son commerce, est un attribut du fonds de commerce ».
Cela étant, tout est affaire de mesure dans les dimensions et le choix de l’emplacement
II°- L’ACTION MENÉE CONTRE LES TROUBLES ANORMAUX
1°- LA CESSATION DU TROUBLE
Après avoir répertorié les nuisances susceptibles de créer un trouble, la question qui, naturellement, se pose est de savoir comment les faire cesser.
A – QUI PEUT AGIR ?
1) Le bailleur
L’action contre les troubles anormaux causés par les commerçants incombe en premier lieu au bailleur. En effet, celui-ci est considéré comme « responsable » des agissements de son locataire et est dans l’obligation de faire cesser les troubles commis par ce dernier. En cas d’inaction, il sera naturellement attaqué en justice par la copropriété. Le bailleur est généralement averti des nuisances par les voisins copropriétaires, ou par le syndic de la copropriété.
Dès lors, deux voies s’ouvrent à lui : il peut, dans un premier temps, procéder à un règlement à l’amiable auprès de son locataire fautif en mettant celui-ci en demeure de faire cesser ces nuisances. Cette mise en demeure se fait dans bien des cas par un courrier recommandé avec avis de réception pour apporter la preuve de la démarche.
Dans un deuxième temps, si les nuisances persistent malgré la démarche amiable, le propriétaire peut faire constater la nuisance, puis faire signifier par huissier de justice un commandement de la faire cesser dans un délai maximum d’un mois ledit commandement visant la clause résolutoire stipulée dans 99 % des baux commerciaux. Puis, faute d’exécution dans ce délai d’un mois, le bailleur assignera son locataire en référé (procédure d’urgence) acquisition de la clause résolutoire / expulsion.
2) La copropriété
Les organes représentant la copropriété, c’est à dire, le syndicat, représenté par le syndic, et l’assemblée générale peuvent également agir en cessation du trouble. Dans un premier temps, les voisins copropriétaires peuvent s’adresser au syndic, à la mairie, ou même à la préfecture, afin de mettre en demeure l’établissement de faire cesser la nuisance. Si cette démarche amiable n’est d’aucun effet, ils pourront intenter un procès ; à cette fin, il sera préalablement nécessaire de soumettre une résolution à l’assemblée générale, laquelle donnera mandat au syndic d’ester en justice.
Cependant, force est de constater que l’action de la copropriété est plus lente et complexe à mettre en œuvre que l’action individuelle, ce qui peut expliquer que des copropriétaires préfèrent agir seuls contre l’auteur du trouble, quitte à prendre à leur charge les frais de procédure. Ce qui a été validé par la Cour de cassation qui a considéré qu’un copropriétaire avait qualité pour agir à titre personnel afin de faire cesser le trouble (Cass. Civ III : 8.avril .2021 N° 20-18.327).
En l’espèce, les copropriétaires ont assigné une société spécialisée dans la vente et la réparation de scooters, en résiliation du bail et expulsion, car elle causait des nuisances olfactives et sonores.
La Cour de cassation a rappelé dans sa décision, qu’en cas d’inaction du bailleur, le syndicat des copropriétaires peut exercer une action dite « oblique » en résiliation du bail à l’encontre du locataire lorsque ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux copropriétaires. Les copropriétaires devront donc uniquement démontrer la réalité des nuisances sonores causées par le locataire, et l’inaction de son propriétaire, afin de saisir le juge aux fins de constat de la résiliation du bail, et solliciter l’expulsion.
Cette décision se fonde sur l’article 1341-1 du Code civil qui dispose que « lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne ».
Ce type de décision est pour le moins étonnante, et a une portée dont on peine à imaginer les conséquences. En effet, il s’agit ni plus ni moins d’une ingérence majeure dans le patrimoine du bailleur et sa gestion par celui-ci. Il nous aurait semblé plus judicieux, et respectueux du droit de propriété, de condamner le bailleur à faire le nécessaire contre son locataire, avec dommage-intérêts à sa charge et astreinte financière coercitive.
2°- LES CONSÉQUENCES DE L’ACTION EN JUSTICE
Les pouvoirs du juge sont très étendus.
Il pourra, par exemple, condamner l’auteur des troubles anormaux à réaliser des travaux d’isolation phonique, ou à procéder à des installations en conformité avec les règlements sanitaires et d’urbanisme, et ainsi ordonner la suspension de l’activité tant que les mesures n’auront pas été prises ou les mises aux normes effectuées.
La victime pourra obtenir le versement de dommage-intérêts en réparation du trouble dans la jouissance de sa propriété. Le juge peut également condamner le contrevenant à verser aux victimes des dommage- intérêts afin d’indemniser la perte de valeur de leur propriété causée par la nuisance sonore, visuelle ou olfactive.
L’indemnisation peut être mise à la charge du commerçant et / ou de son bailleur..
III°- LES MOYENS DE DÉFENSE DU PROPRIÉTAIRE ET DU LOCATAIRE EN CAS DE TROUBLES ANORMAUX
En cas de confrontation judiciaire, le commerçant n’est pas toujours perdant.
Ainsi, particulièrement bienveillante, la Cour de cassation a refusé de reconnaître l’existence de troubles anormaux de voisinage alors qu’il était reproché à une sandwicherie des odeurs de cuisine, la présence de papiers gras dans les parties communes et le bruit de la clientèle (Cour de cassation, 3e chambre civile, 8 octobre 2003 (n°99-20.511)
« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 1999) que M. X… a acquis dans la résidence « Orsay université » le droit au bail d’un local commercial dans lequel il exploite, depuis 1995, une sandwicherie ; que le syndicat des copropriétaires reprochant à ce commerce d’être à l’origine de troubles anormaux de voisinage causés par les odeurs de cuisine, la présence de papiers gras dans les parties communes et le bruit de la clientèle, a assigné M. X… en cessation de toute activité de restauration rapide ;
Attendu que pour condamner M. X… à cesser son activité de restauration chaude, l’arrêt retient qu’il résulte d’un constat d’un huissier de justice du 2 mai 1996 que « de cette boutique, étant sur le trottoir ou dans la rampe d’accès aux parkings, parviennent des odeurs fortes de cuisine », que postérieurement à ce constat, M. X… a fait procéder à de nouvelles installations de nature à juguler les nuisances olfactives mais que malgré cela, celles-ci persistent comme l’attestent les copropriétaires qui ont signé la pétition versée aux débats, qu’afin de supprimer les nuisances olfactives qui persistent malgré l’installation de la hotte, la cour d’appel lui enjoint de limiter son activité commerciale à la vente de sandwichs et boissons non alcoolisées à l’exception de toute préparation chaude ;
Qu’en statuant ainsi, sans établir le caractère anormal des nuisances constatées pour un commerce de restauration, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Le locataire peut également être exonéré de sa responsabilité en cas de nuisances, dans le cas où le règlement de copropriété n’est pas précis.
En effet, un arrêt de la Cour de cassation, du 14 décembre 2010 a condamné la décision d’une assemblée générale des copropriétaires qui avait décidé de refuser l’autorisation d’exploiter un restaurant dans le local du rez-de-chaussée, au motif que le règlement de copropriété stipulait :
«Il ne pourra y être exercé aucune profession ni aucun métier bruyant, insalubre ou exhalant de mauvaises odeurs».
Or, le règlement de copropriété, celle-ci étant composée de deux bâtiments à usage mixte d’habitation et de commerce, n’interdisait pas expressément une activité de restauration.
Eu égard aux interdictions posées par le règlement de copropriété, cette décision pourrait paraître particulièrement bienveillante, voire inappropriée.
Cependant, le lecteur attentif aura remarqué que le règlement de copropriété stigmatisait les « mauvaises odeurs ». S’il n’y avait pas le qualificatif « mauvaises », nous n’aurions vraisemblablement pas obtenu une si belle décision. Vous l’aurez compris, chaque cas est particulier, et, que ce soit pour défendre le locataire et son fonds de commerce, ou le bailleur commercial et son droit de propriété, il importe d’avoir à ses côtés un avocat expérimenté et particulièrement intéressé par ce sujet.
S’il est spécialisé depuis plus de trente ans dans le secteur restauration-hôtellerie, c’est l’assurance de bien faire valoir ses droits.
Maître Gérard DOUKHAN, Avocat spécialiste en droit commercial à Paris, et en vente de fonds de commerce, certifié par le Conseil de l’Ordre, vous conseille, vous assiste, et plaide au mieux de vos intérêts.
Tel : 01.42.65.50.64
Email : maîtredoukhan@orange.fr
Article mis en ligne en mars 2023.
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